Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 25 septembre 2022 (26e dim. du TO C) – Abbaye de Boscodon
dimanche 25 septembre 2022

Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 25 septembre 2022 (26e dim. du TO C) – Abbaye de Boscodon

Am 6,1a.4-7 ; 1 Tm 6,11-16 ; Lc 16,19-31 (le pauvre Lazare et le mauvais riche)

Comme Timothée, nous sommes invités à mener le combat de la foi afin de pouvoir, un jour, nous emparer de la vie éternelle : car nous sommes faits pour la vie en communion totale avec Dieu et nos frères et sœurs en humanité. Saint Paul nous dit encore que Dieu « seul possède l’immortalité, habite une lumière inaccessible », qu’« aucun homme ne l’a jamais vu, et nul ne peut le voir ». Il faut interpréter correctement cette dernière phrase : c’est ici-bas, sur cette planète en mauvaise santé, que Dieu reste pour nous invisible et inaccessible. Nous cheminons dans la foi, c’est-à-dire que nous faisons confiance à Dieu et à Jésus. Nous croyons qu’ils nous promettent un bonheur impérissable, dans la communion avec eux.

Alors, prenons au sérieux le but de notre voyage terrestre, notre invitation à la fête éternelle auprès de Dieu. Mais nous devrons en tirer les conséquences, et ne pas passer le restant de notre vie sur Terre dans l’attachement égoïste aux richesses matérielles, dans un plein désintérêt pour la santé de nos frères, en particulier des plus pauvres. Comme les princes enfermés dans leurs palais de luxe et l’oubli des pauvres, nous serions laissés de côté lorsque le Seigneur viendra nous chercher.

L’histoire du pauvre Lazare et du mauvais riche nous redit cela. Ne soyons pas naïfs : cette parabole ne décrit pas le Paradis et l’Enfer, comme si nous y étions ! Mais dépassons les images, pour comprendre ce que Jésus veut nous dire à travers elles. Il est question de deux personnages, aux antipodes l’un de l’autre. Un pauvre, seul personnage de parabole à avoir un nom propre, qui signifie « Mon secours, c’est le Seigneur ! » Oui, Lazare, c’est l’homme réduit à la plus grande misère, dont la seule richesse et le seul espoir sont en Dieu. En face de cet homme au plus bas de l’échelle sociale, le riche bouffi d’égoïsme rappelle les classes riches du Royaume d’Israël dénoncées par le prophète Amos. Cet homme plein de lui-même passe son temps à se gaver de tout ce qui peut le combler, sans la moindre attention au pauvre qui git devant sa porte.

Lazare et le riche meurent tous les deux, mais là encore leurs destins diffèrent. Saint Luc nous met ainsi en garde contre la gravité de nos décisions humaines : il y aura un moment où notre vie terrestre prendra fin, et il sera alors trop tard pour décider de se convertir ! Déjà sauvé en espérance, Lazare ne tient pas encore à pleines mains son salut, car s’il est accueilli dans le sein d’Abraham (« auprès d’Abraham », dit le lectionnaire officiel), il ne l’est pas encore dans le sein du Père, comme le promet le Prologue du quatrième évangile : Le Fils unique, de condition divine, nous conduit dans le sein du Père (Jn 1,18, lecture alternative). Comme il l’avait fait pour Dieu au Chêne de Mambré (cf. Gn 18,1-15), Abraham joue ici le rôle d’hôtelier : il a reçu de Dieu la mission d’accueillir tous ceux qui arrivent dans sa Maison. Car le sein d’Abraham, c’est l’antichambre du Paradis.

Quant au riche, dont le cœur s’est fermé durant sa vie terrestre, il est en proie à des souffrances. Et puisque pour lui c’est trop tard, l’unique élan de générosité qu’il peut produire vise ses frères : ainsi, c’est bien toujours du destin de son propre clan, de son club, qu’il se soucie. Il voudrait que son sort soit épargné à ses frères : alors, pourquoi pas une petite visite d’un ami de Dieu pour les exhorter à changer de vie ? Et Lazare ferait bien l’affaire, car pour ce riche il n’est qu’un pauvre, tout juste bon à être utilisé comme esclave au service de ses caprices. Eh bien, non ! Jésus est ferme : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’il les écoute ! » Dans les Saintes Écritures, le Seigneur nous a donné tout ce qu’il nous faut pour pouvoir vivre saintement et nous approcher de lui.

Alors, quel chemin allons-nous prendre ? Les difficultés du temps présent, avec le réchauffement climatique et la sauvegarde de la création, mais aussi l’augmentation du coût de la vie, tout cela peut susciter de beaux élans de partage et de générosité ; mais tout aussi bien nous pousser à nous enfoncer un peu plus dans l’égoïsme, dans un « sauve-qui-peut » général. Pour faire les bons choix qui s’imposent, n’attendons pas des miracles venus du Ciel. Même une apparition du Christ ressuscité ne nous servirait à rien, si nous ne lisons pas et ne relisons pas l’Écriture, pour nourrir notre âme et soutenir notre marche vers le sein d’Abraham, porche royal qui mène au sein du Père.