Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 2 octobre 2022 (27e dim. du TO C) – Abbaye de Boscodon
dimanche 2 octobre 2022

Homélie du fr. Luc Devillers OP pour le 2 octobre 2022 (27e dim. du TO C) – Abbaye de Boscodon

Ha 1,2-3 ; 2,2-4 ; 2 Tm 1,6-8.13-14 ; Lc 17,5-10

Les lectures de ce dimanche parlent de la foi sous différents aspects. À la fin du viie siècle avant notre ère, Habacuc fait l’expérience de la foi à l’épreuve du temps et du silence de Dieu. Car Dieu semble ne rien faire contre ce monde de violence et d’injustice : « Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? Devant moi, pillage et violence ; dispute et discorde se déchaînent. » Comme le dit l’introduction au livre d’Habacuc dans la traduction liturgique : « Ce prophète peut nous rejoindre par la modernité de son questionnement : que fait Dieu ? Il semble bien passif au milieu de la violence et de l’injustice ambiantes… » Au début de l’été, un journaliste du Dauphiné Libéré a rencontré à Boscodon le groupe biblique œcuménique d’Embrun. La guerre d’Ukraine, qui n’est pas près de s’achever, avait entamé son troisième mois. Notre monde est incertain, inquiétant, toujours plus miné par la violence. Le journaliste nous a interrogé au sujet du silence de Dieu pendant la guerre : Dieu est-il injuste ? Pourquoi laisse-t-il mourir des innocents ? À quoi ça sert de le prier, notre prière peut-elle vraiment empêcher la guerre, ou la mener à sa fin ? Parmi nos réponses, il y avait celle-ci : Dieu ne dirige pas les événements sans passer par les humains ; et ceux-ci ne sont pas des marionnettes dans sa main. Autrement dit : le grand drame des guerres et des injustices en tout genre ne vient pas de l’inaction de Dieu, mais de la nôtre ; c’est à nous de nous remuer, là où nous sommes ; à nous d’agir au quotidien en faiseurs et semeurs de paix ; même sans peser sur l’échiquier politique du monde, nous pouvons concrètement être témoins de l’Évangile et semeurs de paix.

Dieu demande à Habacuc d’inscrire « une vision, clairement, sur des tablettes, pour qu’on puisse la lire couramment » : « c’est une vision pour le temps fixé », qui « tendra vers son accomplissement, et ne décevra pas ». Par la mise par écrit de la vision, Dieu veut instruire les générations futures. Nous voici donc interpellés : que faisons-nous de la Parole de Dieu ? Comment l’écoutons-nous, la mettons-nous en pratique ? Elle ne bouleverse pas le monde comme par magie, mais elle peut toucher les cœurs des êtres humains. Et c’est ainsi qu’elle prend chair et peut produire de beaux fruits, des résultats tangibles. Malgré toutes les horreurs dont notre monde actuel est porteur, malgré tout ce qui peut nous acculer au scepticisme, au désespoir et à la mort, depuis que la parole des prophètes d’Israël a résonné, et que les chrétiens annoncent l’Évangile, le monde a changé. Petit à petit, sans que cela fasse du bruit, sans que cela se voie d’une façon trop éclatante.

C’est alors Dieu peut dire à Habacuc : « Le juste vivra par sa fidélité. » Nous sommes invités à la fidélité, à la confiance en Dieu. En reprenant ce verset, saint Paul lui donnera un nouveau sens : lui, l’ancien pharisien qui pensait pouvoir faire son salut en accomplissant des bonnes œuvres conformes à la Loi de Moïse, il a découvert que ce chemin était une impasse, et Jésus lui a révélé le mystère de sa croix. Du coup, Paul s’est mis à proclamer, à temps et à contre-temps, que nous serons sauvés par la foi et non par l’observance de la Loi : « Le juste vivra par la foi. » Au moment de la Réforme protestante, Luther a surinterprété les mots de Paul venant d’Habacuc. Contre l’Église catholique qui mettait en avant la nécessité de mériter le salut par l’accomplissement de bonnes œuvres, il a prêché le salut par la seule foi. Mais Paul savait bien, comme il le dit ailleurs, que « la foi agit par la charité » (Ga 5,6) ; et saint Jacques affirme que « la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2,26).

Ce matin, Paul demande à Timothée de garder « le dépôt de la foi dans toute sa beauté, avec l’aide de l’Esprit Saint qui habite en nous ». La foi dont il parle ne prend « toute sa beauté » que si elle est animée par l’Esprit Saint, Esprit d’amour, de paix, de justice et de joie. Et dans l’Évangile, lorsque les disciples demandent à Jésus d’augmenter leur foi, il répond qu’un peu de foi, « gros comme une graine de moutarde », suffit à déplacer les arbres. Dans une autre lettre, saint Paul affirme que cela ne sert à rien d’avoir une « foi à transporter les montagnes » (1 Co 13,2), si nous ne vivons pas dans l’amour. Alors, avançons dans la foi, oui, ayons pleine confiance en Dieu et en Jésus. Mais soyons à notre tour fidèles au Dieu fidèle, et acceptons de mettre notre foi à l’épreuve du quotidien, afin que nous vivions en témoins de l’amour de Dieu pour le monde et notre humanité. Amen.